Les éditions H&O publieront en février 2020 le nouveau thriller de Serge Brussolo, Cendres vives. Ce « raconteur d’histoires » confie pour la première fois un texte à un éditeur étranger au sérail des grandes maisons parisiennes et qui a su entretenir « le feu sacré ». Rencontre avec un « enchanteur lucide » quatre mois avant la sortie de son nouveau numéro de prestidigitation…
Pourquoi avoir choisi H&O pour la publication de votre nouveau thriller ?
Disons que l’enthousiasme de l’éditeur tombait comme un rayon de soleil dans le climat morose de l’édition française ! Je rencontre assez souvent les éditeurs, et certains d’entre eux me donnent, hélas !, l’impression d’avoir laissé s’éteindre le feu sacré qui leur avait fait choisir cette profession. Ce qui aurait tendance à me démotiver. Les gens de H&O, eux, m’ont fait l’effet d’un remède de cheval. Leur vitalité m’a rassuré et redonné espoir. Je me suis surpris à penser : « Ah ! Les zombies n’ont pas encore gagné. Il y a encore quelqu’un qui s’avance gaillardement au milieu des ruines et des cendres. Pourquoi ne pas lui emboîter le pas ? »
L’important pour moi c’est la liberté d’écriture. Je ne supporte pas qu’on essaie de m’imposer des choses sous couvert de « suggestions » et qu’on tente mine de rien de prendre le contrôle de mon manuscrit, voire de le rewriter. J’ai claqué plusieurs portes pour cette raison. Je ne fais pas partie des auteurs dociles, c’est pourquoi j’ai la réputation « d’avoir un problème avec l’autorité ». Il m’a semblé que chez H&O je serais enfin protégé de ces menaces, et que s’établirait un climat de confiance. Et surtout, je le répète, ces gens m’ont paru très motivés par leur travail, ce qui n’est pas si fréquent de nos jours où la routine commerciale et le découragement finissent par avoir raison des meilleurs. Lors des déjeuners professionnels on m’assomme de chiffres… mais on me parle de moins en moins de livres. Dommage. Ce n’était pas le cas lorsque j’ai débuté dans le métier, et je le regrette ; mais bon, comme on l’aura compris : je suis un vieux con.
Comment vous situez-vous, vous, auteur de best-sellers, dans le paysage éditorial actuel français ?
Il m’est arrivé d’écrire des best-sellers, c’est vrai, mais presque par accident. Ce n’est pas dans ma nature. Certains éditeurs l’ont du reste déploré, et m’ont ardemment prié de corriger ce travers. Mais je suis trop marginal, trop déviant pour supporter de ne pas sortir des sentiers battus de la mode. Je n’ai aucun respect pour les recettes miraculeuses, le train-train, les vieux pots dans lesquels on mitonne la bonne soupe. Ce parti pris en déconcerte certains qui me reprochent de chercher à tort l’originalité. J’écris par passion, avec l’espoir de faire partager ce plaisir aux lecteurs.
Je suis avant tout un raconteur d’histoires. Je sais qu’aujourd’hui cela paraît ringard car la littérature doit — d’après ce qu’on me répète — exprimer avant tout des états d’âme (de préférence déprimants) ou émettre de hautes pensées qui permettront de sauver le Monde. Je me rappelle d’un critique littéraire qui m’avait dit : « Il ne faut pas raconter d’histoires, c’est bon pour les enfants, ça n’intéresse pas les adultes. » Je suis persuadé qu’il se trompait. Depuis la nuit des temps, les bonnes histoires passionnent les foules.
Par ailleurs, on constate en France un profond mépris pour l’imagination qui est considérée comme suspecte, et une grande méfiance envers les auteurs qui sont capables d’inventer. Mépris qui n’est pas exempt de jalousie larvée.
Que pouvez-vous nous dévoiler de l’intrigue de Cendres vives ? Quelle place ce roman tient-il dans votre œuvre ?
C’est le monologue d’un jeune homme étrange, prisonnier volontaire d’une clinique désaffectée, qui nous raconte sa vie depuis son enfance passée sur les bords de l’Amazone, jusqu’à son incarcération dans une école d’enfants espions destinés à devenir des agents dormants. Mais qui est réellement cet « anti-James Bond » ? Doit-on le considérer comme un mythomane ? Un malade mental ? Ou la victime d’un complot qui le dépasse complètement ? Est-il naïf ou machiavélique ? Ce livre est fait de vérités emboîtées comme des poupées russes. Chaque révélation en contient une autre qui contredit la précédente. D’une certaine manière c’est un jeu saupoudré d’humour noir. Une sorte de numéro de prestidigitation destiné à amuser le lecteur.
Vos livres portent un regard assez cruel et ironique sur les travers de l’humanité en général. Diriez-vous que vous êtes un « enchanteur désenchanté » ?
Frédéric Soulié, l’auteur des Mémoires du Diable a écrit : « Que Dieu nous garde donc, non pas d’être coupables, mais d’être dupes. » Le problème c’est que neuf fois sur dix nous sommes tout à la fois coupables et dupes sans vouloir l’admettre. Je ne suis ni désenchanté ni paranoïaque, je suis réaliste, mais n’a-t-on pas dit que l’humour noir est la politesse du désespoir ? Je ne suis ni un philosophe ni un donneur de leçons. Pas davantage – selon le terme à la mode – un « lanceur d’alertes ». Je voyage et je note ce que je vois. Je pense que le monde est plus fou que nous voulons bien l’admettre, que la démence quotidienne couve sous un mince vernis qui ne demande qu’à s’écailler. Un pseudo rationalisme nous tient lieu d’œillères rassurantes. J’entends souvent les gens dire : « C’est invraisemblable, ça ne pourrait jamais arriver. » Cela me rappelle ce que répétait l’un de mes profs en fac : « La vraisemblance c’est le critère des imbéciles. » Je dirais plutôt : « C’est une bouée de sauvetage trompeuse qui peut se dégonfler d’un instant à l’autre. » Le délire est partout, sous-jacent, il nous encercle. L’entropie est en passe de nous engloutir. Donc mes romans ne sont pas si délirants qu’on se plaît à le répéter. Je suis un enchanteur lucide.
Cendres vives
Serge Brussolo
À paraître chez H&O, format de poche, en février 2020.
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